
Mauvaise journée, nouvelles rencontres.
Une fille.
Il s'assied à son bureau.
Le jeune homme ne se sent pas chez lui. Étranger dans sa propre maison, tout semble éphémère… Une famille de remplacement avec un amour factice… L’homme n’est pas son père et la femme n’est pas sa mère.
Sa plume glisse sur le papier blanc en de longs mouvements réfléchis. Pour une fois dans sa vie, il s'applique. Il sait qu'il ne l'aime pas... Il n'aime pas et n'aimera plus jamais.
Il relève sa feuille et la parcourt de ses yeux maintenant presque bleus ; indifférent aux fines gouttelettes qui perlent sur la vitre embuée de la fenêtre depuis bientôt deux heures.
Puis, la pluie part aussi soudainement qu'elle s'est introduite dans le quotidien des parisiens... Il en profite pour faire une pause.
Il prend sa feuille et sort sur le balcon de pierres grossièrement taillées.
Même soleil d'hiver, mêmes bruits de brindilles
Il touche la pierre glacée, le givre sur les grilles.
Il éprouvera peut être quelque chose cette fois-ci... Un sentiment... Qui sait...
Il lui a écrit une lettre... Poème dont il ne se révélera l'auteur que si sa muse s'en trouve émue ou du moins flattée...
« As-tu déjà aimé pour la beauté du geste ?
As-tu déjà croqué la pomme à pleines dents ?
Pour la saveur du fruit, sa douceur et son zeste...
T'es-tu perdue souvent ? »
Il est froid, calculateur... Son esprit inventif n’est pas mis à contribution aujourd’hui… Repêcher quelques phrases dans un texte peu connu, les tourner à sa manière, le mal est fait.
« Si tu as déjà aimé, déjà croqué en ce fruit défendu,
Déjà plongé dans cet éternel océan... »
Le couple de sa famille d'accueil se dispute en dessous...
« Si tu as déjà goûté à ces amours de courte haleine, qui nous embaument le cœur, le cerveau et la tête, au dehors comme au-dedans... »
Il passe du « tu » au « nous » avec subtilité...
« Alors tu en demanderas, tu en chercheras encore, jusqu'à la fin des
temps. »
Ça y est, ils ont réveillé le bébé.
Il réfléchit encore... Il reprend sa plume et ajoute une dernière phrase...
« Mais quand ce parfum nous quitte, quand la vie n'a plus d'odeur,
C'est en un vaste champ de mines, que se transforme notre cœur. »
Ce soir encore, il prendra une douche pour mieux s'endormir.
Ce soir encore, il éteindra la lumière pour se sentir en sécurité.
Ce soir encore, il écoutera sa musique, à travers ses cheveux mouillés.
Et ce soir encore, il n'arrivera pas à pleurer.